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DE LA QUALIFICATION A LA FORTUNE DE MER
 

Parti de Lorient le lundi 20 mai vers 11H30, Un Pied Au Large s’est élancé sur le parcours de qualification de 1 000 milles en direction de l’Irlande avant de redescendre contourner l’île de Ré puis rallier son port d’attache.

 

Après sept jours de mer, deux dépressions compliquées en mer d’Irlande, mais aussi des moments magiques, le bateau et le marin sont confrontés à une nouvelle dépression au large de la pointe Bretagne. Celle-ci est plus mauvaise que prévue ; la situation s’envenime et tourne à la fortune de mer.

 

Récupérée grâce au professionnalisme des autorités maritimes et à la solidarité des gens de mer, je ressors indemne de cette mésaventure. Le bateau quant à lui termine sa course d’une bien triste manière.

Une montée vers l’Irlande tonique

Le départ de Lorient lundi 20 mai en fin de matinée se fait dans l’intimité de quelques amis venus larguer mes amarres. Mon bateau et moi prenons la mer pour 7 à 10 jours, une nouvelle 1ère expérience mais c’est confiante et enthousiaste que je m’élance sur ce parcours de 1 000 milles. Les 1ers jours de mer se feront au près, les fichiers météo sont sans appel. Si c’est le prix à payer pour redescendre au portant, alors je prends.


D’entrée de jeu les conditions sont un peu plus soutenues que les prévisions, qu’à cela ne tienne nous ajustons la voilure afin de conserver la toile du temps. Les 1ers jours se passent pour le mieux : passage de la pointe de Bretagne par le raz de Sein puis extérieur Ouessant, traversée de la Manche avant de rejoindre la mer d’Irlande en contournant les îles Scilly. Le passage du phare de Bishop Rock au Sud Ouest des Scilly marque l’entrée en mer d’Irlande, mais aussi l’arrivée d’une 1ère dépression amenant des vents soufflant jusque 35 nœuds. Un Pied au Large fait le dos rond et continue sa remontée au près.
Quelques heures d’accalmie permettent au marin et au bateau de récupérer. Des soucis d’énergie sont à déplorer à bord d’Un Pied Au Large, rien d’alarmant mais il faut trouver des solutions car l’idée est de boucler cette qualification et non de faire du tourisme en Irlande.


Une seconde dépression s’abat sur la mer d’Irlande, plus virulente. Ce sont des vents allant jusque 38 nœuds qui malmènent mon petit bateau. Tirer des bords en mer d’Irlande, slalomer entre les cargos et n’avancer que peu sur le fond, c’est le prix à payer pour rejoindre la bouée de Coningbeg située par 52°02’ Nord et 6°37’Ouest
.

L’arrivée sur la cardinale Sud de Coningbeg marque une délivrance le samedi 25 mai au petit matin. Le vent et la mer se sont calmés et ce sont des couleurs uniques et magiques qui m’accueillent ce matin là. L’Irlande ça se mérite qu’on se le dise, je suis contente d’avoir rejoint cette marque et me réjouis à l’idée  de faire dorénavant un cap au Sud. Les problèmes d’énergie sont ‘maitrisés’, le pilote de secours a pris le relai. Il s’agit certes d’une navigation en mode dégradé mais celui-ci permet de poursuivre la route.

Une descente inattendue


Peu après avoir contourné la fameuse bouée, j’envoie le grand spi par 8-10 nœuds de vent. Je me réjouis à l’idée de voir les milles défiler et m’imagine quelques 10-12 heures plus tard à la pointe de l’Angleterre. Les conditions météo ne sont pas celles attendues, le vent n’est plus au Nord mais déjà au Sud-Ouest, ce qui signifie de nouveau une allure au près. Le temps de comprendre la situation, j’affale le spi, règle le bateau pour cette allure et me résigne à l’idée d’une descente moins rapide que prévu.

 

Dimanche 26 mai dans l’après midi, je dépasse la pointe Sud-Ouest de l’Angleterre. Je profite de la proximité de la côte pour envoyer quelques nouvelles, prendre plusieurs météo afin d’anticiper au mieux les conditions pour la suite du parcours, je suis également en contact avec mon cousin à terre pour faire un routage. Les fichiers météo font état d’un passage de front pour la fin de journée du lundi 27 mai, avec des vents n’excédant pas 25 nœuds.

 

Dimanche 26 mai en fin de nuit, je sors de la Manche et prends l’option de passer la pointe de Bretagne par l’extérieur de la zone DST (Dispositif de Séparation de Trafic – Zone contrôlée & interdite à la navigation), en raison de la marée, du vent de SW et des forts coefficients qui ne me permettent pas d’emprunter le chenal du Four. Je tire donc un long bord au large dans l’Ouest. Le vent monte dès 6h du matin pour atteindre 25-30 nœuds. Le passage du front semble être en avance par rapport aux prévisions. Au court de la journée, le vent ne faiblit pas et atteint 35-37 nœuds, la mer ne cesse de grossir avec la marée montante.


Vers 16h, je me trouve à 10 milles environ de la bouée Racon SW, marquant la fin de la zone DST. Je traverse le rail de cargos par une mer démontée, dans un vent fort et par une visibilité très réduite. Je prends contact avec la station Ouessant Trafic par VHF afin de les prévenir de mes intentions, à savoir la traversée des rails de cargos. Je les informe de ma position et des conditions rencontrées. Ils me questionnent sur une potentielle demande d’assistance, je leur réponds par la négative mais que j’apprécie qu’ils gardent un œil sur ma trajectoire au milieu des cargos.

 

Evacuation du 612


Ayant rencontré des problèmes d’énergie à bord de mon bateau depuis plusieurs jours, je suis à la barre depuis plus de 10h dans des conditions de vent et de mer difficiles. La météo est significativement plus mauvaise que prévue et après sept jours de mer la fatigue et le froid se font sentir. En raison de l’accumulation de plusieurs facteurs, je reprends contact avec Ouessant Trafic 30 à 40mn plus tard environ afin de voir quel type d’assistance pourrait être envisagé pour mon bateau et moi.

A partir de là les choses s’accélèrent, Ouessant Trafic relaie mon appel auprès du Cross Corsen qui dépêche un avion pour me survoler. Un navire de guerre allemand à proximité propose de se dérouter pour venir à ma rencontre. Celui-ci arrive sur zone environ 30mn plus tard et met un zodiac à l’eau qui vient à ma rencontre. Je fais savoir mon intention de ne pas quitter le bateau sans avoir envisager un remorquage pour celui-ci. Le Cross Corsen est en contact avec des pêcheurs, mais ces derniers refusent l’opération en raison des trop mauvaises conditions météo sur zone. Le bateau allemand fait savoir qu’il ne pourra pas rester sur zone très longtemps en raison de ses impératifs et des conditions météo qui doivent encore se dégrader, avec des orages à venir.

C’est alors que j’embarque à bord du zodiac du navire allemand en ayant pris le temps d’affaler et ferler les voiles de mon bateau, d’enclencher la VHF ASN pour localisation du bateau et fermer ce dernier. Je suis prise en charge par l’équipage du navire allemand. Celui-ci fait route vers l’Allemagne et me signifie qu’ils pourront me déposer à proximité de Cherbourg le lendemain dans la matinée. Arrivés au large de Cherbourg, le transbordement est effectué par un navire de la SNSM. La vedette me ramène ensuite à la station de Goury, à proximité de la Hague.  Des amis m’attendent sur place pour me ramener à Lorient.


Pendant ce temps, mon cousin coordonne l’opération de suivi  de la dérive du bateau en collaboration avec le Cross Corsen. Le bateau continue d’être localisé grâce à son écho radar. Mardi 28 au soir, le bateau dérive à petite vitesse dans la zone de la DST. Les conditions de mer sont toujours mauvaises, une opération de remorquage est envisagée pour le lendemain matin à l’aide de la SNSM.

 

Récupération du 612


Le mercredi 29 vers 7h30, le cross Corsen nous informe que le bateau s’est échoué sur les cailloux à proximité de la plage de Porspoder, à la pointe de Bretagne. Une tentative de remise à l’eau est réalisée par la SNSM, mais celle-ci n’est pas couronnée de succès. Le déséchouage du bateau est alors confié à une société privée, qui sortira mon petit bateau des cailloux à l’aide d’un tracteur puis d’une grue. Cette opération est extrêmement douloureuse pour mon pauvre bateau qui s’était jusqu’alors frayé un chemin parmi le champ de mines que représente l’environnement hostile du Four.


Elise & Pifou, une amie et mon cousin présents à mes côtés, me soutiennent comme ils peuvent au court de cette nouvelle épreuve. Nous récupérons ce que nous pouvons à bord du bateau avant que celui-ci ne soit transporté dans un chantier à l’Aber Wrac’h dans l’attente de la suite des événements.

 

La solidarité des gens de mer


Cette fortune de mer est une expérience particulièrement difficile à vivre, et je ne réalise pas bien encore tout ce qu’il vient de se passer. Cependant je tiens à remercier très sincèrement l’ensemble des personnes et organismes qui ont pris part à ma récupération et à celle de mon bateau : Ouessant Trafic, le cross Corsen, l’équipage du Falcon 50 et le cross Jobourg pour la coordination des opérations, l’équipage du ravitailleur allemand Frankfurt Am Main pour ma récupération et avoir pris soin de moi, la SNSM de Goury (La Hague) pour le transbordement à Cherbourg, la SNSM de Lanildut - Porspoder pour la tentative de récupération de mon bateau.

 

J’ai également une chance immense d’être entourée par des personnes exceptionnelles : Elise et Armand qui sont venus me chercher à Cherbourg – quelle joie de voir des visages familiers au cœur de cette mésaventure. Pifou, mon cousin, qui a coordonné les opérations avec le cross Corsen, Météo France & la SNSM pour le suivi de dérive et la récupération de mon bateau.


Merci enfin à chacun de vous pour vos nombreux messages de soutien et de réconfort, ils n’atténuent malheureusement pas la douleur encore vive mais ils me touchent beaucoup.

 

Il va me falloir un peu de temps pour réaliser, accepter, prendre du recul, rebondir et …repartir, car ce qui est certain c’est que je serai de retour sur l’eau pour donner une seconde vie au projet Un Pied Au Large !

A bientôt pour de meilleures nouvelles.
Laetitia

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